La thérapie manuelle et le système nerveux autonome, discussion
Cette revue de littérature a pour objectif de faire un état des lieux des connaissances concernant l’influence des thérapies manuelles sur le système nerveux autonome, en étudiant les données scientifiques parues à ce sujet.
Afin de répondre au mieux à la problématique, nous allons commencer cette discussion par une interprétation de nos principaux résultats, en discutant des différents types de techniques ou thérapies manuelles étudiées. Dans un second temps, nous comparerons nos résultats avec la littérature actuelle, et pour finir, nous analyserons les forces et les faiblesses de notre revue.
Interprétation des résultats
Analyse critique des résultats
Parmi les 18 articles étudiés, 15 sont des essais cliniques randomisés, 1 étude pilote, 1 étude de cas et 1 étude de mesures répétées. Toutes ces études sont des études prospectives et comparatives dont les objectifs sont clairement définis à l’exception d’une. 2 de ces études ne sont pas randomisées ce qui constitue un biais potentiellement important quant à la bonne analyse des résultats.
Dans toutes ces publications, la population étudiée correspond à la population habituellement traitée et toutes les variables cliniquement pertinentes sont prises en compte. Seule une étude ne présente pas de modalité de traitement applicable en routine.
Les scores méthodologiques de ces 18 études s’étendent de 9/12 à 12/12, et la moyenne de tous les scores est de 10,3/12, ce qui correspond à une moyenne méthodologique satisfaisante.
Par ailleurs, de nombreuses études évoquent un manque de patients dans les effectifs requis pour obtenir des résultats significatifs. En effet, parmi les 18 articles, 8 ont moins de 30 patients, 5 ont entre 30 et 50 patients et 5 ont plus de 50 patients. Les 8 études ayant moins de 30 patients présentent donc un biais plus important que les 10 autres études, cependant les données restent exploitables pour notre analyse.
Sur 18 articles étudiés, 2 concernent le crâne 5 portent sur la colonne cervicale, 7 sur le rachis thoracique, (1 porte à la fois sur le rachis thoracique et sur le rachis cervical), 1 sur les côtes, 2 sur le rachis lombaire, et 2 sur une prise en charge globale.
Techniques crâniennes
Deux études mesurent l’impact d’une compression du 4ème ventricule sur certains marqueurs du système nerveux autonome tels que la tension artérielle ou la variabilité de la fréquence cardiaque. Ces 2 études ont montré qu’il n’y avait pas, ou trop peu d’effets sur ces marqueurs pour influencer l’activité du système nerveux autonome. Cependant, 2 articles plus récents, étudiant les mêmes variables, illustrent qu’un traitement manuel crânien peut entraîner une relaxation par le biais de modifications significatives des marqueurs du système nerveux parasympathique.
On peut alors se demander si le type de technique employée, une compression ou une technique intéroceptive par exemple, ou encore l’âge du sujet, peuvent modifier l’impact d’un traitement manuel crânien sur le système nerveux autonome.
Techniques cervicales
Dans 5 études, l’influence des cervicales sur le système nerveux autonome est analysée.
Il semblerait qu’une manipulation ou un ajustement des cervicales supérieures provoque une augmentation de l’activité parasympathique en agissant sur l’activité cardiaque (tension artérielle, fréquence cardiaque et variabilité de la fréquence cardiaque). Cependant, une mobilisation rythmique des cervicales supérieures entraînerait une augmentation de l’activité orthosympathique, traduite par une modification après chaque séance de la fréquence cardiaque et respiratoire, et de la conductance cutanée.
Par ailleurs, une manipulation des cervicales inférieures engendrerait également une augmentation de l’activité orthosympathique.
On remarque également que des techniques plus douces comme un étirement ou relâchement myofascial au niveau cervical auraient une action sur le système parasympathique en influençant la variabilité de la fréquence cardiaque.
On peut alors se demander si le type de technique employée au niveau cervical prédomine sur l’effet physiologique que nous pouvons avoir sur le système nerveux autonome.
Mobilisation et manipulation de la région thoracique
Les articles évaluant les effets d’une manipulation ou d’une mobilisation de la colonne thoracique ou costale s’accordent globalement en montrant que ces dernières auraient une action sur le système orthosympathique. Cependant, sur ces études, deux ne montrent pas d’effets significatifs sur le système ortho ou parasympathique mais l’étude de Puhl ne nie cependant pas l’influence d’une manipulation sur le SNA. De plus, une conclut qu’une manipulation spécifique de certains étages thoraciques aurait une action sur le système nerveux parasympathique.
Ces divergences peuvent s’expliquer par la différence des variables étudiées. En effet, 3 études évaluant une manipulation thoracique ont des résultats différents en ayant analysé respectivement la variabilité de la fréquence cardiaque, la modification du diamètre de la pupille et la concentration sanguine en adrénaline et noradrénaline.
On peut penser qu’une manipulation thoracique qui entraînerait une diminution de la fréquence cardiaque aurait une action sur le système parasympathique. Une autre étude portant sur l’évaluation de la fréquence cardiaque après une manipulation thoracique conclut elle aussi qu’une telle manipulation conduirait à une diminution de la fréquence cardiaque. Cependant, celle-ci serait expliquée davantage par les conditions de l’essai clinique, comme la position allongée maintenue quelques minutes, que l’impact de la manipulation en elle-même.
On peut alors se demander si la position du sujet ou les conditions de traitement influencent plus les marqueurs du système nerveux que la technique en elle-même.
Mobilisation et manipulation lombaires
Une première étude évalue l’impact d’une mobilisation lombaire rythmique sur 45 patients asymptomatiques. Les modifications de la conductance cutanée dans les membres inférieurs traduit une augmentation de l’activité orthosympathique après cette technique.
Une seconde étude mesure l’impact d’une manipulation lombaire chez des patients lombalgiques et asymptomatiques. Cette dernière montre qu’une telle manipulation entraîne une diminution de la fréquence cardiaque et donc une augmentation de l’activité parasympathique. Cependant, il est important de préciser que les patients étaient en position de procubitus pendant 8 minutes avant et après le traitement.
On peut alors se demander ici, si le caractère douloureux, ou la position de procubitus prolongée peut influencer le relâchement du patient et donc la diminution de la fréquence cardiaque qui traduit une activité parasympathique.
Traitement ostéopathique global
Une étude montre qu’un traitement ostéopathique entraîne une augmentation de l’activité du système parasympathique et une diminution de l’orthosympathique au travers de modifications de la variabilité de la fréquence cardiaque. Cependant, l’étude ne précise pas quel type de technique ou quelle région anatomique engendre le plus de modifications.
L’étude de Barassi et Al. montre également que des techniques de neurostimulation entraînent des modifications sur le SNA, sans préciser si celles-ci ont une prédominance ortho ou parasympathique.
Comparaison de notre étude avec les revues de littératures récentes
Nous avons comparé notre étude avec 6 revues de littérature récente traitant du même sujet. Dans ces revues publiées, on trouve entre 7 et 29 articles analysés. Dans notre étude, nous en avons inclus 18 ce qui correspond donc à un nombre pertinent d’articles comparé à ce qui a déjà été réalisé.
On remarque que notre étude diffère des autres revues sur un point majeur : le critère d’évaluation de la qualité méthodologique. En effet, nous avons utilisé la grille d’évaluation d’un article thérapeutique de l’ANAES. Les études ayant utilisé d’autres grilles ont donc effectué une analyse critique différente.
L’autre différence majeure est que nous avons utilisé des sites de littérature grise, et nous n’avons pas consulté toutes les bases de données utilisées dans les revues.
Ces différences peuvent expliquer les variations quant au nombre d’études incluses. Cependant, nos résultats s’accordent tous en montrant que les techniques manuelles rachidiennes ont un effet sur le système nerveux autonome.
On peut remarquer que les marqueurs utilisés dans la majorité des essais cliniques sont identiques. La variabilité de la fréquence cardiaque ou la fréquence cardiaque sont les plus fréquents. Ces derniers varient sous l’influence du SNA mais peuvent aussi varier selon l’état du sujet ou de sa position par exemple. On peut alors se demander si les modifications significatives de ces marqueurs dans ces études sont uniquement dues à l’utilisation de techniques manuelles.
Notre revue montre cependant que des mobilisations rythmiques ou des manipulations haute vélocité basse amplitude (HVBA) ont un effet sur le système orthosympathique. 3 publications s’accordent avec nos résultats en montrant que des mobilisations ou manipulations entraînent une augmentation de l’activité du système orthosympathique. Cependant, ces dernières ne précisent pas quelles régions anatomiques influencent le plus ce système. Nous avons pu, au travers de notre analyse, mettre en évidence que cette action concernait des mobilisations cervicales supérieures et lombaires, ainsi que des manipulations cervicales inférieures et thoraciques.
Nous avons vu que certaines techniques semblent avoir un effet sur le système parasympathique. Cependant, dans la littérature actuelle, aucune revue ne conclut d’effet significatif quant à l’action des thérapies manuelles sur ce dernier. Deux articles et une revue de littérature concluent qu’il n’y a pas assez de preuves, ou que les articles manquent de qualité méthodologique pour expliciter clairement si l’action des thérapies manuelles est plus importante sur le système sympathique ou parasympathique.
Bien que les résultats s’accordent, ils restent encore vagues et confus. Il serait donc intéressant de mener des essais cliniques en standardisant la population afin de cibler les effets sur le SNA selon les symptômes, l’âge ou le type de technique.
Limites de l’étude
Comme beaucoup d’études, cette revue présente des forces et des faiblesses. De nombreux biais apparaissent dans cette étude, et il est important de les identifier pour ne pas tirer de conclusions hâtives dans notre raisonnement clinique.
Faiblesses de cette étude
Le premier biais important présent dans cette étude est lié au fait qu’une seule personne a effectué les recherches, sélectionné les articles et analysé ces derniers. De ce fait, une démarche en tant qu’auteur unique a pu restreindre le spectre de l’analyse de la revue. Par exemple, le parti a été pris de ne pas inclure les articles antérieurs à 2005. Il est donc possible d’être passé à côté de certains articles publiés qui correspondaient à nos critères d’inclusion, ou encore d’informations importantes pour notre revue.
Un second biais est que toutes nos données récoltées concernent des patients symptomatiques et asymptomatiques. Il est donc difficile d’évaluer et de généraliser les effets des thérapies manuelles car la population prise en compte n’est pas la même dans toutes les études.
Enfin, l’évaluation méthodologique des articles peut présenter des faiblesses. En effet, nous avons utilisé la Grille ANAES qui date de 2000. La recherche a beaucoup évolué en 21 ans, et il existe aujourd’hui de nombreuses grilles pour évaluer la méthodologie des articles, avec des critères plus fiables. Cependant, nous avons utilisé cette grille car elle était simple d’utilisation et nous permettait d’obtenir un résultat quantitatif intéressant à exploiter.
Forces de cette étude
L’une des principales forces de notre étude est que la majorité des articles analysés sont des essais cliniques randomisés, ce qui correspond au plus haut niveau de preuve.
De plus, par rapport aux nombreuses autres revues existantes sur ce sujet, nous avons voulu nous démarquer en effectuant des recherches sur des sites de littérature grise, ce qui peut ajouter des données supplémentaires, qui n’apparaissent pas sur les bases de données de littérature blanche. Cependant, nous n’avons pas retenu d’articles issus de littérature grise car aucun ne correspondait suffisamment aux critères recherchés.
Enfin, nous avons constaté que de nombreuses études sur ce sujet ont déjà été publiées. Cela nous permet d’avoir un regard critique sur notre étude et ainsi mesurer les convergences ou divergences présentes avec les données actuelles récentes et approfondir notre réflexion afin d’en tirer des conclusions pertinentes.
Pour en savoir plus sur l'étude, rendez vous dans le dossier Recherche et littérature pour consulter la suite des articles.
Clément Bes de Berc
Ostéopathe à Argenteuil
95 - Val d'oise